Cet essai sur l'animal a été publié dans le magazine Camera INTERNATIONAL Hiver 1991. Jean-Claude Lemagny, historien de la photographie et Conservateur au Cabinet des Estampes et de la Photographie à la Bibliothèque Nationale de Paris de 1968 à 1996, analyse l’oeuvre de quatre photographes qu’il a choisis (Caroline Feyt, Michel Vanden Eeckhoudt, Claude Jetter et Jean-Marc Coudour) en juxtaposant leur vision sur le Bestiaire, thème unique de ce numéro.

L’ANIMAL EST UNE ÉNIGME
A propos de la série PRIMATES 1986

Jean-Marc Coudour lui aussi montre des singes en cage. Et il ne nous cache pas l’environnement concentrationnaire. Mais sa manière est toute différente de celle de Vanden Eeckhoudt. Il ne s’agit plus de dénoncer, en redoublant l’enfermement des bêtes par le cadrage photographique ; il s’agit de pénétrer dans leur intérieur, de se glisser au travers des barreaux, et de partager leur espace, si faire se peut. Mais alors, puisque la chose est impossible, il s’avère préférable d’aller jusqu’au bout de l’anthropocentrisme en retrouvant chez nos cousins aux grands yeux d’étonnement les mêmes prototypes de ceux qui nous mènent et nous hantent depuis tant de siècles. Coudour s’immisce dans le groupe familial, ses amours et ses haines, mais renonce à une vaine psychologie comme à une ethnographie illusoire. Il choisit délibérément de mythologiser, touchant peut-être à une vérité plus profonde, quoique dérangeante. Mais il n’extrapole pas vers le cosmos, comme Caroline Feyt, il profite du confinement pour évoquer des Annonciations, des Visitations, des Pentecôtes, extases mystiques qui nous troublent fort, inquiet que nous sommes soudain en pensant que ces antiques histoires seraient bien plus vieilles encore que nous ne le pensions. Une fois de plus la photographie aura démontré que son objectivité n’est qu’illusion, ou plutôt que l’objectivité à l’état pur n’existe que comme pâture aux subjectivités.
Jean-Claude Lemagny